Prescription acquisitive : décryptage
« Probatio diabolica » ou… la preuve du diable.
Ainsi est qualifiée la preuve du droit de propriété en France, sujet extrêmement riche en matière de contentieux.
Alors que le titre de propriété semble constituer en France un des éléments les plus sécurisants en termes de preuve de la propriété, il existe un mécanisme appelé usucapion ou plus communément prescription acquisitive basé sur la notion de possession utile et qui permet par l’action du temps de devenir propriétaire d’un bien que l’on occupe.
Le procédé de la prescription acquisitive porte-t-il atteinte au principe de constitutionnalité ?
En droit français, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » (article 544 du Code civil).
Ainsi, dès 1804, le Code Civil consacre le droit de propriété en France. Alors que la mise en œuvre de ce procédé d’acquisition qui résulte de l’écoulement du temps semble a priori en directe opposition avec le caractère le plus absolu de ce droit de propriété qui le caractérise, la question prioritaire de constitutionnalité de l’usucapion n’a pas été jugée sérieuse par la Cour de Cassation et de ce fait, n’a pas fait l’objet d’un examen par le Conseil Constitutionnel. La Cour de Cassation a réitéré sa position selon laquelle l’usucapion est et demeure en France, un moyen d’accéder à la propriété de par le fait qu’une possession utile sous certaines conditions prévaut sur l’inscription au fichier immobilier d’un propriétaire ayant délaissé son bien.
Pourtant le chemin de l’acquisition d’un bien par voie d’usucapion est long et peut sembler parfois précaire.
La possession utile, base du mécanisme
Pour avoir recours au mécanisme de l’usucapion, il faut dans un premier temps justifier d’une occupation publique, paisible, continue, non équivoque et à titre de juste propriétaire pendant une durée de trente ans.
Pour que l’occupation soit publique, il faut qu’elle se déroule ‘à la vue de tous’, c’est-à-dire sans l’intention de la dissimuler.
Pour qu’elle soit paisible, cette occupation doit être conduite sans altercation.
L’occupation ne doit pas être ambigüe. L’intention de se comporter comme le vrai propriétaire du bien doit être explicite et manifeste et ne tolère pas l’interversion de titre. Ainsi, un locataire qui cesse le règlement de son loyer dans le but de comptabiliser cette période dans la durée trentenaire mais qui ne manifeste pas d’action réelle en tant que propriétaire du bien ne pourra pas se prévaloir d’une occupation non équivoque et à titre de juste propriétaire pour cette période.
La question de la continuité présente certaines singularités car il a été admis que la visite régulière d’un bien sur des périodes temporelles courtes constituait une forme de continuité de la possession.
La portée juridique de l’acte de notoriété acquisitive
Afin de formaliser cette possession et de justifier des critères précédemment évoqués, il peut être mis en place un acte de notoriété acquisitive. Il s’agit d’un acte authentique par lequel le notaire liste tous les éléments matériels et les actions permettant d’établir l’existence d’une possession utile pour prescrire.
Parmi ces éléments, on trouve notamment des extraits cadastraux au nom du possesseur, des témoignages de voisins de plus de quarante-huit ans-donc supposés majeurs au début de la possession utile-, des factures et abonnements, des autorisations d’urbanisme au nom du possesseur, un justificatif de paiement de la taxe foncière, un constat d’huissier attestant de l’occupation réelle par le possesseur, un bornage signé par le possesseur etc….
Même si un tel acte demeure un élément permettant de réunir des preuves de la possession utile, il est important de souligner l’insécurité juridique qui en découle. En effet, il n’est pas créateur de droit de propriété. Seul le mécanisme de la prescription acquisitive, une fois consacrée, permet de créer ce droit.
Face à cette possession utile se trouve l’action en revendication. Le vrai propriétaire ou ayant-droits ont la possibilité de mener une action en revendication afin de contester la prescription acquisitive. Le délai de l’action en revendication d’une durée de trente ans ne court qu’à partir du moment où ces derniers ont eu ou auraient dû avoir connaissance de leur droit de propriété sur la chose ou à partir du moment où ils ont ou auraient dû avoir connaissance de la possession de leur bien par un tiers. Ainsi, le point de départ de la possession utile et celui de l’action en revendication ne sont pas nécessairement concomitants, ce qui rend cet acte, bien que publié au Service de la Publicité Foncière, juridiquement précaire.
Spécificités liées aux territoires
Il existe néanmoins des spécificités au sein de certains territoires pour lesquels l’acte de notoriété acquisitive ne peut plus être contesté au delà d’une durée -5 ans- beaucoup plus courte que celle du droit commun, rendant le droit de propriété de son bénéficiaire non contestable. C’est le cas de la Corse, de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique de Mayotte ou encore de Saint-Martin.
Le mécanisme de la prescription acquisitive en droit français n’a pas de caractère automatique. Il ne suffit pas d’avoir possédé le bien utilement pendant une durée de trente ans, il faut également s’en prévaloir devant le juge judiciaire. Or, en droit français, la seule manière de s’en prévaloir est d’opposer à l’action pétitoire du propriétaire, tout moyen de défense au fond dans le cadre d’une instance judiciaire. Le juge ne peut, sur demande de l’intéressé et sans litige, consacrer la prescription acquisitive.
Le Géomètre-Expert et la prescription acquisitive en bornage
En aucun cas, dans le cadre d’une action en bornage, le Géomètre-Expert ne peut consacrer la prescription acquisitive ; seul le juge est habilité à le faire. Le Géomètre-Expert peut néanmoins être amené, dans le cadre d’une expertise judicaire, à relever des indices d’une possession utile. Il peut également, au cours d’un bornage amiable, relater des faits et des dires, une situation singulière, qui pourront être utilisés dans le cadre d’une expertise plusieurs années plus tard.
Isabelle Santarelli, Géomètre-Expert, Cabinet IGEO Conseils
contact@igeoconseils.com